Si, les évènements météorologiques récents ont achevé de nous dessiller sur le défi climatique, c’est un autre évènement qui bouscule l’UE : les représailles de la Russie, qui a désormais quasiment fermé le robinet de son gaz naturel, soit 35% de la consommation de l’UE. Alors que cette énergie doit tenir au chaud 145 millions d’européens cet hiver.
Face à la remise en question existentielle de leur sécurité énergétique, les Etats membres ont réagi très vite, parfois à rebours de toutes leurs promesses, en relançant leurs centrales au charbon et en reportant la fermeture de centrales nucléaires ; tout en négociant davantage de livraisons par gazoducs, de la Norvège, d’Algérie et d’Azerbaïdjan.
Ces mesures étant notoirement insuffisantes, ils se sont rués sur des approvisionnements de gaz naturel liquéfié (GNL) vendu sur les marchés mondiaux, prévus pour aller en Asie et ailleurs.
Sauf que l’UE représente à elle seule 40% du marché international de gaz naturel, dont seulement la moitié s’échange sous forme de GNL. D’où l’explosion des prix spots en Europe, et sa contagion en Asie avec des répercussions considérables.
Si la Chine et l’Inde lui ont substitué du charbon ou du pétrole, la Corée du Sud, tout en freinant à court terme sa sortie du charbon, a décidé d’accélérer la construction de 4 centrales nucléaires et de prolonger la durée de vie des 23 en opération, tandis que le Japon a procédé à un changement de politique majeur, 10 ans après Fukushima, en décidant de rouvrir 7 centrales nucléaires dès 2023.
Par contre, le Pakistan et le Bengladesh ont trinqués. Evincés du marché par des prix trop élevés, ils ont subi de multiples coupures de courants, malgré des mesures drastiques pour réduire la demande (réduction des heures de travail, fermetures avancées des commerces, etc.).
Pourtant, et en dépit de sa frénésie d’achats, l’approvisionnement de l’UE est loin d’être résolu.
L’Union n’a pas aujourd’hui assez de terminaux méthaniers pour compenser les 4 gazoducs russes, surtout que ses terminaux actuels sont très mal situés géographiquement : par exemple, la péninsule ibérique détient plus de 40% de la capacité d’accueil alors qu’elle n’est pas reliée au réseau européen et inversement, l’Allemagne, la plus grosse économie européenne, n’a aucun port méthanier.
Conscients de l’enjeu, 10 pays ont lancé en urgence et dans le plus grand désordre une vingtaine de projets d’infrastructure portuaire, créant toutes les conditions d’une surcapacité à venir.
Et pour remplacer le réseau de gazoducs qui desservaient 20 pays de manière quasi-optimale, les européens ont, là encore, réagi prestement : un nouveau gazoduc norvégien à destination de la Pologne, via le Danemark, a été fortement accéléré pour être livré avant l’hiver. Des interconnexions ont été construites dans des délais record entre la Pologne et la Lituanie, la Pologne et la Slovaquie et entre la Grèce et la Bulgarie. Et la France a renversé le flux de gaz vers l’Allemagne, une première.
Les Etats de l’UE ont surtout réussi à faire le plein de stocks de gaz avant l’arrivée de l’hiver. Ceux-ci sont d’ailleurs tellement remplis, que la douceur de l’automne aidant, de nombreux méthaniers, spéculant sur l’aubaine, se trouvent à tournoyer inutilement le long des côtes européennes.
Mais compte tenu de ce que la Russie ne livre quasiment plus rien depuis le mois de septembre, c’est désormais l’hiver 2023/24 qui est en risque.
Et c’est ce qui justifie pleinement l’initiative de l’UE, prise dès le mois de juin, reprise par les 27 états membres au mois d’Août, de réduire, par la sobriété, notre consommation de 15%.
Si cet objectif est atteint, l’UE aura peut-être réussi à déjouer le piège d’une pénurie insupportable, capable de provoquer le chaos.
Mais à quel prix ?
L’explosion du prix du gaz est une bombe énergétique, qui, contrairement à l'explosion d'une bombe nucléaire - qui unirait le monde entier contre Poutine – pourrait disloquer l’UE.
Le défi extraordinaire de l’Union Européenne, alors même qu’elle souffre d’un déficit provisoire de compétitivité qui l’affaiblit et la divise, est de trouver à la fois, comment protéger les ménages tout en favorisant les changements de comportement, comment épauler les entreprises tout en profitant de la formidable incitation à l’efficacité et aux énergies alternatives et comment renforcer cette union qui fait sa force, tout en maintenant son cap vers la neutralité carbone.
Saurons-nous déjouer le 2ième cliquet du piège Poutinien ?