Le plan de Bill Gates pour enrayer le désastre climatique, à la fois volontariste, convaincant et optimiste, tranche avec le débat public en France, souvent dominé par une remise en cause moralisatrice du consumérisme.
Précisons tout de même en préambule, que Bill Gates partage sans réserve les conclusions du GIEC, et l’absolue nécessité de parvenir à des émissions nulles dans les 30 ans à venir.
Toutefois, en pragmatique, il part d’observations difficilement réfutables :
· la population mondiale va continuer à augmenter,
· les humains veulent plus de biens et services, et la sobriété qui s’exprime dans une partie de l’Occident ne freinera pas la croissance en cours du continent asiatique, 4 fois plus peuplé,
· les gains d’efficacité énergétique, certes précieux, ne changent pas la dimension du problème,
La seule solution pertinente est donc de décarboner la production d’énergie, par la généralisation de l’électricité, et de trouver comment produire autrement les biens industriels & agricoles dont certains sont essentiels au monde moderne tels que l’acier[1], le béton[2], les plastiques, les engrais[3], l’élevage bovin[4], pour ne prendre que les principaux émetteurs de GES[5].
Bill Gates ajoute une autre condition, indispensable pour obtenir une adhésion générale aux alternatives propres : que leur surcoût, qu’il appelle «green premium», soit aussi faible que possible.
C’est cette notion de « green premium » qui devient sa boussole pour nous emmener de façon didactique, dans les coulisses des innovations nécessaires dans chaque domaine, avec une crédibilité renforcée par des références aux technologies dans lesquelles il investit lui-même depuis 15 ans[6].
Bill Gates est cependant convaincu que ces innovations ne peuvent pas avoir lieu sans une intervention publique forte, seule capable de résoudre ce que les marchés sont incapables de faire spontanément et notamment :
· créer l’environnement incitatif nécessaire pour provoquer le basculement des entreprises et des consommateurs vers des solutions décarbonées, via un mix de subventions, normes, taxation carbone, marchés des émissions, etc.
· investir massivement en Recherche et Développement avec des budgets qu’il recommande de quintupler aux Etats-Unis, au niveau que ceux de la recherche sur la santé.
Si l’UE a bien avancé sur la création d’un environnement incitatif (cf : chroniques précédentes), c’est moins évident sur la R&D, malgré quelques annonces marquantes sur les batteries et l’hydrogène.
Mais revenons sur le rôle central de l’électricité pour satisfaire les besoins énergétiques du monde, sans recours aux sources d’énergies fossiles (gaz, pétrole, charbon).
Cette solution suppose un développement spectaculaire de l’électricité décarbonée, puisque celle-ci ne représente aujourd’hui qu’1/3 de l’électricité produite, qui elle-même ne représente qu’1/5 de l’énergie consommée dans le monde.
Et les seules options activables à grande échelle sont les ENR (éolien et solaire), et le nucléaire.
Or, si la baisse spectaculaire en 20 ans du coût de l’électricité produite par les ENR les rend désormais compétitifs, leur fonctionnement intermittent, contraint toute politique « 100% ENR », à recourir massivement au stockage d’énergie, dont le coût, même avec les hypothèses les plus optimistes à 10 ans, est incompatible avec un faible « green premium »[7].
Bill Gates en conclut que si les ENR restent pertinents pour produire 30 - 40% de la consommation, le nucléaire est incontournable, car seul pilotable et flexible. Il est donc crucial, de réinvestir à nouveau dans cette filière, tout en cherchant à réduire, sinon supprimer ses risques inhérents.
Et il nous met en garde contre l’erreur qui consisterait à privilégier les baisses d’émissions à court terme (2030), en privilégiant le gaz comme énergie de transition du charbon[8], au risque de renchérir et freiner la seule stratégie pertinente pour atteindre la neutralité carbone en 2050, à savoir un mix ENR et nucléaire.
Et c’est précisément la controverse qui a lieu au sein de l’UE, où industriels du nucléaire et du Gaz jouent des coudes pour faire partie des secteurs d’activités « verts[9]» dont la liste définitive doit être annoncée fin Avril par la Commission Européenne. Car c’est la condition pour être éligible au plan de relance européen et être référencé dans les portefeuilles d’investissements dits « durables ».
Par un étonnant paradoxe, l’Europe qui possédait un leadership dans le nucléaire, semble s’en désengager, alors même que cette industrie reste très dynamique. Sauf que son centre de gravité s’est déplacé vers l’Asie où Chinois et Russes ont installé les 2/3 des nouvelles capacités depuis 2000, alors que les 3/4 l’avaient été en Amérique du Nord et en Europe dans les 3 dernières décennies du XXIème siècle[10].
Face au défi climatique, péril unique dans l’histoire de notre humanité, osons débattre sur le nucléaire de manière transparente et rationnelle en France et en Europe.
[1] Une tonne d’acier produit 1,8 tonne de CO2.
[2] Le ciment (dont on tire le béton) est le produit d’une réaction chimique : calcaire + chaleur = oxalate de calcium + dioxyde de carbone (CO2). Une tonne de ciment génère 1 tonne de CO2
[3] Le protoxyde d’azote qui provient des engrais azotés, boosters de croissance végétale, est un puissant Gaz à Effet de Serre (300 fois plus que le CO2)
[4] Si les bovins étaient un pays, ce serait le 3ième plus gros émetteur de GES après la Chine et les Etats-Unis En effet, ces animaux possèdent dans leur rumen (un de leurs 4 estomacs) des bactéries qui dégradent la cellulose des végétaux. Cette fermentation naturelle produit du méthane qui est émis par éructation.
[5] La production de verre et de papier est aussi mentionnée, mais sans faire l’objet d’un chapitre particulier
[6] Notamment dans TerraPower, société innovante dans le nucléaire et le fonds d’investissements BEV (Breakthrough Energy Ventures)
[7] Les calculs de Bill Gates reposent sur des données disponibles sur le site du NREL (National Renewable Energy Laboratory) - Cost Projections for Utility-Scale Battery Storage from NREL : https://www.nrel.gov/docs/fy19osti/73222.pdf.
[8] La combustion du gaz émet 40% de CO2 en moins que celle du charbon
[9] La taxonomie, nom donné à cette liste de secteurs « verts » (cf : chronique #2)
[10] Nicolas Baverez dans Le Point (n° 2537)