Dans ma chronique précédente j’insistais sur l’extraordinaire défi que s’est fixée l’UE pour réduire fortement sa dépendance aux énergies fossiles dans la prochaine décennie[1]. Ceci afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050, objectif auquel se sont ralliés le Japon, la Corée du Sud et partiellement la Chine [2].
Pour réussir ce défi, il faudra beaucoup d’argent, bien au-delà de la capacité des Etats. D’où l’importance capitale de rallier la sphère financière.
Quelques éléments d’actualité m’ont semblé éclairants, et même encourageants à cet égard :
· Fin Août, la société pétrolière ExxonMobil a disparu de l’indice des 30 plus grosses sociétés américaines, après 92 ans de présence, et alors qu’elle représentait encore la plus grosse capitalisation mondiale en 2011.
· Plus spectaculaire encore, fin Novembre, la valeur de la société Tesla a dépassé la valeur cumulée de tous les constructeurs automobiles, avec seulement 0,5% des ventes mondiales.
· Tout à fait significatif aussi cette injonction d’un groupe d’importants investisseurs [3] sommant 36 géants européens de l’énergie, des matériaux et des transports, d’intégrer les risques liés au climat dans leurs états financiers, et menaçant d’utiliser leur droit de vote en AG en cas de carence.
Pour mettre en perspective cette actualité, il n’est pas inutile de faire un petit retour en arrière.
En novembre 2015, juste avant la signature des Accords de Paris, Mark Carney, alors patron de la banque centrale d’Angleterre prononce un discours historique [4] devant un parterre de dirigeants du secteur de l’Assurance [5]. Dans ce discours il explique en détail les risques posés à la finance mondiale par le changement climatique. Avec notamment cette image frappante : les réserves prouvées de pétrole étant 3 à 5 fois plus importantes que le maximum de CO2 admissible pour éviter un monde à plus de 2°, 2/3 de ces réserves ne valent rien, car elles ne pourront pas être brulées.
La chute des valeurs du secteur pétrolier (et pas seulement D’ExxonMobil), débutée avant la pandémie, pourrait indiquer que Mark Carney a été entendu.
Mais ce dernier souligne aussi dans le même discours le risque de transition lié aux bouleversements auxquels seront soumises les entreprises dans un système économique qui doit impérativement s'adapter au changement climatique, et donc provoquer une transformation rapide du mix énergétique, des réglementations publiques et des habitudes de consommation.
Ce que traverse le secteur automobile en est une parfaite illustration. En effet, 2020 est la 1ère année où les constructeurs automobiles sont tenus de respecter des objectifs contraignants [6] concernant les émissions des véhicules vendus dans l’UE, avec de lourdes pénalités en cas dépassements. Objectifs qui vont être durcis chaque année.
Cette industrie n’a donc pas d’autre choix que de se transformer à marche forcée pour ne pas disparaître. Et c’est bien le risque de transition, provenant de politiques publiques visant à réduire les émissions, qui impactent aujourd’hui la valeur de l’ensemble du secteur, au profit quasi-exclusif (pour l’instant) du seul constructeur ayant fait le pari du tout électrique dès sa création.
Et depuis les Accords de Paris, plusieurs initiatives internationales majeures, ont préparé les esprits dans le sens des propos de Mark Carney :
· En 2017, un groupe de travail du secteur privé, appelé TCFD [7], mandaté par le conseil de stabilité financière [8] produit des recommandations visant à ce que les sociétés cotées soient plus transparentes sur leur empreinte carbone et sur leur stratégie face au risque climatique. Trois ans plus tard, près de 60% des 100 plus grosses entreprises soutiennent et/ou appliquent officiellement ces recommandations.
· Plusieurs régulateurs européens ont annoncé vouloir confronter les banques à un exercice inédit [9] en 2021, pour mesurer leur degré de préparation face aux risques climatique et de transition, incitant de facto à ce que celles-ci limitent, voire réduisent leurs encours intenses en carbone.
· Enfin, en 2020 l’UE a produit un référentiel unique au monde [10] des activités économiques qui peuvent être considérées comme « durables » [11], et pour les activités les plus émettrices de GES, les critères de performance à atteindre pour pouvoir aussi prétendre être éligibles au marché des produits financiers « verts ».
Les évolutions boursières des secteurs de l’énergie et de l’automobile sont, d’après moi, une manifestation tangible de la réallocation rapide des capitaux financiers vers l’économie bas-carbone, provoquée, par ces initiatives convergentes et cohérentes avec l’esprit des Accords de Paris.
[1] L’objectif de -40% vient d’être porté à 55% par le Conseil européen le 10 décembre 2020
[2] Cf : chronique précédente. Pour rappel, la chine s’est donné jusqu’à 2060
[3] https://preview.tinyurl.com/y6qzrs3o
[5] Les Assurances sont l’industrie chargée de mesurer les risques en tous genres et de leur donner un prix
[6] 95g/km en moyenne, en normes NEDC
[7] Le TCFD (Task-force on Climate-related Financial Disclosures) est un groupe de travail du secteur privé mandaté par le Conseil de Stabilité Financière. Le TCFD a été dirigé par Mickael Bloomberg, hommes d’affaires et ex-maire de New York et candidat malheureux aux dernière primaires du parti Démocrate.
[8] Le conseil de stabilité financière regroupe 26 autorités financières nationales (banques centrales, ministères des finances, etc.), plusieurs organisations internationales et groupements élaborant des normes dans le domaine de la stabilité financière. Ses objectifs relèvent de la coopération dans le domaine de la supervision et de la surveillance des institutions financières.
[9] La terminologie utilisée est « climate stress-test », par analogie avec les stress-test mis en place par les régulateurs pour prévenir une nouvelle crise financière après celle de 2008
[10] La taxonomie est une classification standardisée pour évaluer la durabilité de 70 activités économiques, représentant 93 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) de l’Union européenne
[11] Les mots « durables » et « verts » sont interchangeables